Capitale Française de la Biodiversité - Recueil d'actions exemplaires - édition 2015 : Nature en ville et changements climatiques

Nous sommes désormais entrés dans le « siècle de la ville ». Le milieu urbain concentrera 70 % de la population urbaine en 2050 et couvrira près de 3 % de la surface des continents contre 0,5 % aujourd’hui. Par le mode de développement qui s’y élabore et par son impact sur les vastes territoires dans lequel elle prélève ses ressources et exporte ses déchets, la ville est désormais le lieu de tous les enjeux de développement durable.

Deux de ces enjeux sont particulièrement prégnants dans la conceptualisation de la ville du futur : le changement climatique et la crise de la biodiversité. Dans les deux cas, des questions se posent tant au sujet de la réduction de la contribution de la ville et du mode de vie urbain sur ces changements planétaires que de l’atténuation des risques que font peser ces mêmes changements sur la qualité de la vie des urbains.

Pendant les dernières décennies, tout s’est passé comme si le milieu urbain était un monde à part, déconnecté du reste de la planète et de la biosphère. À bien des égards, la ville apparaît aujourd’hui comme un nouveau biome, c’est-à-dire un ensemble d’écosystèmes aux propriétés particulières physico-chimiques et biologiques. Sur les plans énergétiques et matériels, la ville est un milieu quasi totalement ouvert, qui produit peu et importe beaucoup, que l’on pourrait qualifier d’hétérotrophe. C’est un milieu où les cycles biogéochimiques et le bilan radiatif sont profondément modifiés du fait de l’imperméabilisation des sols et de la couleur sombre de la plupart de ses surfaces minérales. Sur les plans biologiques et écologiques, la ville se révèle pauvre en habitats et en ressources, ce qui contribue à la baisse de l’abondance des espèces sur de vastes surfaces.

Ce caractère inédit de l’écosystème urbain engendre un impact important de la ville sur la dynamique du climat et de la biodiversité. La faible albédo et l’aridité jouent dans le sens du réchauffement tandis que l’obstacle que la ville oppose à la mobilité des espèces à l’échelle régionale joue dans le sens d’une intensification de la crise de la biodiversité. Dans le même temps, l’écosystème urbain élève le niveau d’un certain nombre de risques environnementaux classiques, comme l’exposition à de hautes températures ou à l’inondation, et Luc Abbadie, écologue, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie et directeur de l’Institut des Sciences de l’Environnement de Paris (iEES Paris) Chantal Pacteau, directrice de recherche au CNRS, Directrice-adjointe du Groupement d’intérêt scientifique Climat-Environnement-Société génère un risque nouveau de représentation mentale erronée de ce qu’est la nature au moment même où il s’agit de rétablir une co-évolution entre humains et non-humains.

L’enjeu est donc d’agir localement pour répondre à la fois à des besoins locaux et planétaires, mais en s’inscrivant dans la nécessaire reconnexion de la ville à la biosphère. Cela passe par le retour de la nature en ville, le rétablissement d’un fonctionnement écosystémique spontané, l’extension ou la création d’infrastructures vertes. Pour cela, la biodiversité offre une palette d’outils qui permettent d’agir sur plusieurs objectifs à la fois, dans une approche plurielle et intégrative très concrète de la ville.

L’efficacité de l’outil biodiversité pour l’adaptation au changement climatique est désormais avéré. L’accroissement de l’effet d’îlot de chaleur urbain, des pics de température atteints lors des canicules et de la température moyenne de l’air est un vrai problème de santé publique pour les années à venir en raison de la surmortalité humaine qu’il provoque. De ce point de vue, les politiques d’infrastructure vertes en milieu urbain peuvent être considérées aussi comme de véritables politiques de santé. Cet accroissement de l’îlot de chaleur peut être contré à l’échelle de la région par les forêts et les zones humides, et à l’échelle locale par les parcs urbains, les plantations de rue ou encore la végétalisation des toits. Une étude menée sur la ville de Manchester suggère ainsi qu’il existe un différentiel de température de l’air qui peut s’élever à 7,6 °C entre un scénario où tous les toits sont végétalisés et un scénario où aucun toit n’est végétalisé. À Toronto, la végétalisation de la moitié des toits avec du Sedum sur un substrat peu profond (une option loin d’être des plus performantes) amènerait une réduction moyenne de la température de l’air de 1 °C. Pour lutter contre le réchauffement des bâtiments au rayonnement solaire, il est également possible de recourir à la végétalisation qui réduit significativement le transfert de chaleur vers l’intérieur des constructions à des taux qui varient de 10 à 50 %. Les arbres d’alignement jouent également un rôle considérable. Une étude réalisée à Chicago montre par exemple que la plantation d’un arbre de rue à l’ouest d’un bâtiment résidentiel permet d’économiser de 2 à 7 % de l’énergie nécessaire à la climatisation.

Un autre risque important en ville, croissant en raison du changement climatique, est le risque d’inondation provoqué par le déséquilibre entre ruissellement et infiltration en ville. Compte tenu des exemples récents à New York ou dans le Sud de la France, il n’est pas illégitime de considérer que les politiques de végétalisation urbaine, et de végétalisation des toits en particulier, sont des politiques de sécurité des personnes. La mise en place de couverts végétaux et de sols artificiels sur les toits permet de retenir une fraction importante des précipitations, de 50 à 70 % dans la plupart des études en fonction de la nature et de l’épaisseur du substrat. Les couverts végétaux ralentissent également le lâcher d’eau par les toits en direction des réseaux de collecte. Au total, c’est la hauteur du pic de ruissellement qui est réduite, limitant ainsi les risques de débordement des collecteurs d’eaux pluviales et les épisodes de pollution qui leurs sont fréquemment liés, ainsi que la fréquence et l’intensité des inondations. Par ailleurs, grâce à leurs racines qui favorisent l’infiltration, les arbres d’alignement contribuent eux aussi à réduire significativement la quantité d’eau ruisselant dans les villes.

Il existe naturellement des solutions techniques aux problèmes d’adaptation aux changements climatiques qui ont été évoqués : climatiseurs, peinture blanche, matériaux isolants, renforcement des réseaux de collecte, réservoirs, etc. Mais, la solution écologique est souvent une alternative valable en termes d’efficacité et de coût économique, mais qui présente toujours l’avantage de permettre de répondre à plusieurs enjeux en même temps. Mettre en place des toits végétalisés et renforcer les plantations au sol pour minimiser les effets du changement climatique, c’est à l’évidence agir dans le même temps pour minimiser l’ampleur de la crise de la biodiversité en re-densifiant le vivant sur de vastes territoires et en rétablissant des continuités écologiques indispensables au maintien à long terme de la biodiversité. Mais c’est aussi agir sur la pollution de l’air par le piégeage de particules fines ou l’absorption de composés azotés par les feuilles. Et c’est, enfin, agir sur la santé, sur les plans physiologiques et psychologiques.

Pour diminuer la vulnérabilité et accroître la résilience des villes, réintroduire des services qu’offre la nature apparaît aujourd’hui comme une source d’innovation et d’intelligence systémique. C’est ce que cet ouvrage se propose de montrer.

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Thématiques
Aménagement du territoire
Biodiversité
Auteur
Concours Capitale Française de la Biodiversité
Date de publication